Claire Corcia, Directrice

La galerie Claire Corcia, un lieu atypique et l'expression de grands talents

Interview de Claire Corcia par Danièle Neumann Lumbroso en janvier 2011.


Claire Corcia, pourquoi avoir créé il y a trois ans dans un contexte économique difficile une galerie d’art à Paris ? un défi  avec vous-même ? un pari dans Paris ?

Après avoir acquis de solides connaissances en l’histoire de l’art à l’Université et à l’Ecole du Louvre ainsi qu’une formation en langues étrangères et en droit du marché de l’art, j’ai voyagé et travaillé dans le « vif du sujet » dans l’expertise de l’Art Contemporain et de L’Art africain ancien à Drouot dans un Cabinet prestigieux pendant six ans. Je rêvais depuis longtemps d’ouvrir ma galerie mais ce rêve restait un rêve. Puis l’occasion s’est présentée. J’ai cherché un lieu et j’ai découvert cette vieille entreprise au 323 Rue Saint Martin où l’on fabriquait après-guerre des bonnets en laine. J’ai immédiatement su que c’était là. Je voulais en faire un lieu où s’exprimerai l’Art Contemporain. J’ai mis en chantier des travaux et voilà. Restait…le reste !

Que montrer ? Quels artistes ? Quel type d’art ? En exposant des peintres et sculpteurs contemporains vous réalisez soudain que vous vous exposez-vous-même en prenant position et en mettant en lumière certains choix artistiques ?

Bien sûr ! Je voulais exposer l’art expressionniste figuratif contemporain, celui d’aujourd’hui et maintenant, donner une chance aux artistes vivants de se trouver dans une pluralité de regards, leur permettre d’exposer leurs œuvres après avoir visité les ateliers, sillonné les salons, mûrement réfléchi. J’ai pris un risque, mais dans une liberté totale !

J’insiste un peu. Vous avez évoqué dans quel état d’esprit vous avez ouvert cette galerie, malgré une période difficile à Paris, cette capitale déclarée par Peï, l’architecte de la  Pyramide du Louvre, comme la plus « Belle ville du monde », passage obligé de tout parcours  touristique en Europe. En agissant ainsi vous semblez avoir mis de côté tout questionnement. Inconscience ? Intuition ? Vous « foncez » tête baissée ! Qu’est-ce qui vous guide, vous si jeune, à peine la trentaine ? Marquer VOTRE « différence » tout en créant un solide réseau d’afficionados ?

Ma passion pour l’art est un moteur. L’art me nourrit, m’interroge, me construit. Je ne peux pas vivre sans ! Je suis partie du principe que beaucoup de gens le savent ou ignorent tout simplement ce que l’art a à offrir en termes spirituel et artistique. Je voulais offrir de l’émotion et la partager. Et puis je crois qu’étant plus jeune et dans le milieu du cirque, j’aurai été équilibriste ou dans la marine, capitaine de bateau…! Et puis il y a eu ce lieu : le 323 rue Saint Martin, pour lequel j’ai éprouvé un véritable coup de foudre. Je me suis laissée prendre dans les filets de cet endroit de près de deux cent mètres carrés, en face d’un Monument Historique, le Conservatoire des Arts et Métiers, à deux  pas de la Gaîté Lyrique, transformé en une plateforme pour les Arts visuels et numériques contemporains, à deux pas de ce romantique petit jardin « Emile Chautemps » et je l’ai su plus tard, honorée de la présence d’un « voisin » prestigieux, Jean-Paul Gaultier. Ce lieu m’inspire et oriente mes choix : hauteur des cimaises, colonnes permettant de jouer à cache-cache avec les œuvres. Maintenant comment donner un nom à ce que j’expose ? Je serais tentée de dire l’art expressionniste contemporain avec une tentation pour l’art brut que j’affectionne de plus en plus au contact des œuvres d’Ody Saban et d’Evelyne Postic. J’explore plusieurs media : la peinture, le dessin, la sculpture, la céramique et la photographie. Surtout, je m’appuie sur la force des talents des artistes que j’expose. Citons brièvement Sergio Moscona, Ody Saban,  Haude Bernabé, Florence Thomassin,  Moreno Pincas ou Denis Pouppeville pour ne citer qu’eux. Mais au-delà du fait de « montrer » les œuvres, je veux créer une symbiose avec les artistes, leur dire qu’ils sont « chez eux », libres de créer selon des thématiques ponctuelles et communes.

Sergio Moscona

 

 

 

 

 

 

« Personajes en tension », 2010, Sergio MOSCONA

Ce mot « rencontre » est un mot qui vous est cher.

Le 323 est un lieu de rencontres entre tous les arts. J’organise régulièrement, sur des propositions qui m’enthousiasment, des « Happenings » faisant écho aux expositions du moment. J’aime que les arts se rencontrent et offrent une interactivité avec le public. Qu’il s’agisse de danse (je citerai le talent du danseur contemporain Jose Luis Sultan), de théâtre, de musique venue de tous les continents, de contes, de lectures de textes poétiques. Cet espace est un endroit idéal pour faire dialoguer les arts plastiques et les arts du spectacle vivant. La structure architecturale de cet espace permet de mettre en valeur les touches de couleur vives des peintures, la finesse des encres, les sculptures en terre, en crin, en céramique ou en métal comme celles d’Haude Bernabé, une jeune femme de très grand talent et parmi les plus remarquées dans le monde de l’art travaillant le fer, une matière si rigide et pourtant si « démiurgique » ! 

Vous semblez très exigeante. Vous semblez très pertinente dans vos sélections. D’autre part, vous êtes tentée de participer à des actions artistiques collectives. Toujours dans ce même mouvement, il y a ce désir qui vous habite de faire « perdurer » ce que vous exposez, de leur donner vie « ailleurs », hors les murs, qu’il s’agisse de salons, de lieux d’architecture remarquables à Paris (Hôtels Particuliers, Conservatoire des Arts et Métiers) en régions, en Europe ou dans le monde. Parallèlement, vous restez en étroite liaison avec votre quartier, qu’il s’agisse de la Mairie du Troisième Arrondissement représentée par Pierre Aidenbaum qui vous connaît bien ou d’autres galeries avec lesquelles, si vos goûts et choix se rejoignent, vous envisagez de créer un réseau commun. Pourquoi ?

Haude BernabéL’art fait partie de ce que l’on appelle l’ailleurs. Les artistes sont des voyageurs en partance. L’art n’existe que pour se faire désirer. Ailleurs. Toujours ailleurs ! L’Art ne doit pas être statique. Il doit être en mouvement, comme la vie elle-même ! Je présente et défend un ensemble artistique qui correspond à mes choix personnels. Cela va de soi. C’est pourquoi ma galerie a une identité très marquée. Nous venons par exemple de participer au « Parcours Céramiques 2010 » ; nous avons eu le bonheur d’être sélectionnés pour la deuxième fois au Mois de la Photo-Off à travers l’exposition « Etres Diaphanes » avec trois photographes travaillant sur l’émotion des corps qui se donnent dans une finesse inégalée, des angles de vues, des flous, des rêves ; des signes et hiéroglyphes à même la paume d’une main ou d’un livre ouvert. Mettre en place ce type d’évènement exige une organisation digne d’un capitaine de bateau devant mener à bon port son équipage ainsi qu’une importante réflexion en amont. J’ai tout de suite lancé des expositions thématiques. Et je me suis aperçue que les artistes ont découvert à quel point ce type de démarche les pousse dans des mondes où ils ne se seraient pas aventurés d’eux-mêmes. Je pense à notre prochaine exposition qui débute le 13 janvier 2011, jusqu’au 5 mars. Elle s’intitule : « LA POUPEE, AU-DELA DU MIROIR ». Une vraie aventure.  J’ai l’impression d’être au cœur de l’acte de création. C’est un pari pour eux comme pour moi ! C’est l’essence-même de mon métier : être en lien avec les artistes et sentir que nous avançons ensemble. C’est une responsabilité…jubilatoire !
(Ci-dessus : « Sauve qui peut », 2010, sculpture en métal de Haude Bernabé)

Vous faites partie semble-t-il d’un nouveau courant artistique. Un mouvement de pensée et une réflexion sur l’art qui se pose et se repose de vraies questions, se met en danger, est en constante recherche. Comment procédez-vous ?


Je travaille en symbiose avec un premier groupe d’artistes constitué depuis trois ans au 323. Les exemples auxquels je me réfère sont «  Le Bateau Lavoir » ou « La Ruche ». C’est cette expérience très particulière que j’aimerai recréer. Aujourd’hui lorsque je regarde les œuvres de mon catalogue, je m’aperçois que l’élément qui a été déterminant pour la Galerie est la cooptation. Joanna Flatau m’a fait connaître Haude Bernabé. Hanna Landau m’a fait connaître Sergio Moscona, Abraham Hadad et Moreno Pincas. Puis j’ai découvert l’œuvre d’Ody Saban à Tours, chez Aline et Christian Charissou. Les artistes de la galerie me surprennent sans cesse ; ils ont peut-être en commun d’être de « faux » figuratifs, des artistes contemporains qui se révèlent à travers des formes expressionnistes, distorsions des corps, ironie, rires, sourires, larmes. Nous nous trouvons au cœur de ce qui peut être une « transmission directe » à  l’autre. On nomme cela l’émotion !

Votre talent de galeriste si jeune, si nouvelle dans ce monde de l’art a-t-il déjà été reconnu ici et là ?
La Galerie n’existait que depuis six mois lorsque l’Association des Galeries m’a coopté. Cela constitue une reconnaissance de la qualité du travail accompli. C’est extrêmement encourageant pour mes artistes et moi-même. C’est une récompense des professionnels du milieu artistique. Les journaux, les radios, le ouïe-dire m’accordent un écho positif. Par ailleurs, le magazine Artension de mars 2010 a édité un numéro Hors-série dans lequel Pierre Souchaud, rédacteur en chef, met en lumière CENT ARTISTES de la Figuration Contemporaine : CENT PARIS pour le XXIème Siècle. Parmi eux, plus d’une dizaine d’artistes font partie du « cru » du 323. Dernièrement, six autres des artistes que je défends à la Galerie ont été sélectionnés par le Critique d’art Francis PARENT pour figurer dans l’ouvrage PORTRAIT ART TODAY qui devrait être édité à l’automne 2011 : Sergio Moscona, Ody Saban, Moreno Pincas, Florence Thomassin, Joanna Flatau et Jacqueline Lipszyc.

Avec un présent prometteur, un passé très jeune qu’envisagez-vous pour le futur de la Galerie Corcia ? 

Continuer à exister. Et également hors-les-murs, histoire de prendre l’air ! J’aimerais développer l’Art Vivant et l’accueillir davantage. Faire parler les œuvres qui sont José Luis Sultanexposées en donnant sa juste place à d’autres formes d’expression artistique. A l’occasion du « Parcours Nomades 2010 »,  nous avons donné une performance où Jose Luis Sultan, danseur du Théâtre de la ville, « entrait » par la danse et la puissance de son expression corporelle dans l’atmosphère des œuvres du jeune sculpteur Alexandre Meyer et du peintre Colette Grandgérard. Le spectacle était étonnant et le public au rendez-vous ! J’ai initié pour 2011 un nouveau projet de collaboration consistant en une installation éphémère des sculptures d’Alexandre Meyer autour desquelles le danseur Jose Luis Sultan évoluerait dans la nef du Musée des Arts et Métiers sur la thématique du Golem. Espérons que ce projet audacieux verra le jour ! Pour « La Poupée, au-delà du miroir » présentée dès le 13 Janvier 2011 à la Galerie, une danseuse de talent a réalisé une performance sur le thème de la poupée. Sans cesse des idées nouvelles surgissent ! De l’utopie qui tienne le coup, des rêves qui deviennent réalité. Tout le monde a bien conscience que le déjà-vu, le déjà-dit créent un manque. Un vide. Une crise, il n’y a rien de tel pour réveiller une société qui se referme sur ses acquis. Le questionnement n’a pas d’égal pour sonner l’alarme à ceux ou celles qui somnolent. Je ne fabriquerai pas ici de « concept marketing ». Mais je ne refuserai pas que les médias utilisent l’un de ces thèmes pour les exalter sur leurs radios ou autres supports.
Paris reprend ses lettres de Noblesse dans l’art. De grands collectionneurs y ouvrent des espaces, la FIAC est un succès. Tous les espoirs sont permis. Chaque jour ici, au 323, est un pari et un défi au temps qui passe.

(Ci-dessus : Photo du danseur expressionniste contemporain Jose Luis SULTAN interprétant la performance Golem).

323, rue Saint-Martin - 75.003 PARIS
Tel : 09.52.06.65.88
Site Web : www.galeriecorcia.com – Email : contact@galeriecorcia.com